Les démarches d'investigation en sciences humaines

L’exemple de la géographie – U1204

En arrière plan, la carte de l’empreinte humaine en 2009

La démarche d’investigation dans le Tronc commun

Les disciplines de la formation historique, géographique, économique et sociale développent des démarches propres d’investigation scientifique mobilisées sur des objets d’étude.

Ces démarches permettent aux élèves de développer des attitudes de décentration, de doute, de recherche et de remise en question de leurs représentations. Elles les font entrer progressivement dans la culture scientifique.

La mise en œuvre de cette démarche d’investigation en géographie, comme pour les autres disciplines convoquées en sciences humaines, est fondée sur l’observation d’un fait ou d’un phénomène d’une manière particulière.

La particularité de l’observation en géographie consiste à regarder ce fait ou ce phénomène sous l’angle spatial. Observer sous cet angle consiste à observer comment ce fait ou ce phénomène se répartit dans l’espace. Par exemple, on peut observer la répartition des terres agricoles, la répartition des industries, la répartition du chômage, la répartition des barrages pour l’irrigation, la répartition des flux commerciaux … Bref, vous l’aurez compris, on peut observer sous cet angle tout et n’importe quoi. Généralement, cette première partie de la démarche d’investigation est résumée par la question « Où ? ».

La figure 1 illustre un fait géographique : la répartition de la population.

Figure 1 – La répartition de la population en 2020 en Belgique et ses territoires limitrophes (Open Spatial Demographic Data and Research, https://www.worldpop.org/)

Certaines observations sont plus intéressantes que d’autres. Celles qui ont un intérêt du point de vue de la géographie sont celles qui mettent en évidence des disparités spatiales : cela veut dire que leur répartition n’est pas homogène dans l’espace observé, il y en a par exemple beaucoup à certains endroits et moins ou pas à d’autres endroits. Ces inégalités (en termes de répartitions spatiales) constituent la clé du questionnement géographique. Pourquoi tant d’industries à cet endroit et si peu à d’autres, pourquoi un tel taux de chômage à cet endroit et si peu à d’autres, pourquoi aucun barrage pour l’irrigation sur ce territoire …Bref, vous l’aurez aussi compris : l’observation présentera un intérêt géographique dès lors qu’elle permet de faire émerger des questions. Les questions qui émergent de l’observation des disparités spatiales peuvent donc être qualifiées de pertinentes du point de vue de la géographie.

La figure 2 illustre comment une observation géographique permet de mettre en évidence des disparités spatiales et comment ces dernières invitent au questionnement :  pourquoi une telle concentration de la population au nord de la Belgique ( à partir du sillon Sambre-et-Meuse), pourquoi une telle rupture par rapport au sud de la Belgique ? Comment expliquer l’étendue des foyers de population en Allemagne alors que la France semble bien plus concentrer sa population sur un espace plus limité ? …

Figure 2 – La mise en évidence de foyers de population sur la base en 2020 en Belgique et ses territoires limitrophes et des questionnements qui peuvent en résulter.

Les réponses aux questions sont apportées en mobilisant différentes composantes de l’espace et en analysant les éventuelles corrélations avec le fait ou le phénomène étudié.

À titre d’exemple, l’analyse du relief illustré sur la figure 3 permet d’établir un lien entre les foyers de population et les plaines à l’échelle de la Belgique et des régions limitrophes. Ce n’est certainement pas la seule composante de l’espace à mobiliser pour éclairer le phénomène mis en évidence sur la figure 2. D’autres composantes de l’espace devront être analysées pour éclairer les questions : l’analyse des réseaux autoroutiers, l’analyse des voies navigables …

Ces analyses doivent également permettre d’apporter des nuances au niveau des liens entre différentes composantes de l’espace.

Figure 3 – Répartition du relief et mise en évidence des plaines, là où se situent les principaux foyers de peuplement en Belgique et ses régions limitrophes.

La mobilisation des cartes pour mettre en évidence l’analyse de la répartition, le questionnement ou la comparaison avec d’autres composantes de l’espace illustre un des principaux outils de la géographie pour communiquer, structurer et valider une recherche et des observations. La carte est une représentation de l’espace. Elle est conceptuelle puisqu’elle figure la réalité à l’aide de points, de lignes et de surfaces. D’autres représentations de l’espace sont moins conceptuelles comme les vues verticales, obliques ou au sol. D’autres sont sous la forme graphique comme le profil du relief. D’autres sont sous forme schématique comme le croquis.

Exemples de mise en oeuvre

L’analyse spatiale de l’aléa tectonique

 

L’analyse d’un aléa tectonique selon la démarche d’investigation se fait en trois étapes:

Étape 1 – L’analyse de l’espace affecté par l’aléa.

Pour y arriver, il faut trouver de la documentation cartographique à propos de l’aléa. Dans le cas des séismes, le site de l’USGS est la référence.

Cette analyse doit mettre en lumière des disparités. Certains espaces sont plus ou moins affectés. Certains aléas sont présents à certains endroits et pas à d’autres. Ces disparités interrogent: pourquoi sont-ils là et pas ailleurs?

Étape 2 – Rechercher des informations pour comprendre la répartition spatiale des aléas

Pour cela, il faut faire référence à des composantes de l’espace: à titre d’exemple, la répartition des phénomènes de liquéfaction est généralement associée à des plaines ou des fonds de vallée alors que la répartition des glissements de terrain est associée aux versants. L’importance des espaces affectés par des tsunamis va dépendre de l’importance de la plaine côtière …

La recherche consiste donc à explorer différentes composantes de l’espace afin d’en trouver une ou plusieurs qui pourront être mises en lien avec la répartition spatiale de l’aléa.

Il faut également, le cas échéant, faire référence à l’un ou l’autre modèle explicatif: dans le cas des séismes, le recours au modèle de la tectonique des plaques permettra de justifier la localisation d’un aléa sismique ou volcanique.

Étape 3 – Structurer des informations, vérifier/valider et faire part …

À l’aide des outils de la discipline (annotations sur des représentations de l’espace, construction d’un profil du relief, mise évidence d’une évolution par balayage …) la dernière étape consiste à mettre en évidence ces composantes de l’espace qui permettent de comprendre la géographie de l’aléa (la géographie = la répartition spatiale).

 

 

L’analyse spatiale d’un risque tectonique

L’analyse d’un risque tectonique selon la démarche d’investigation se fait en trois étapes:

Étape 1 – L’analyse de la répartition spatiale de la population dans les espaces affectés par l’aléa

Soit via le site de l’USGS, soit à l’aide des cartes de la répartition de la population par points ou via un portail dédié au comptage de la population (SEDAC, Banque Mondiale, WordlPop …)

Cette analyse doit mettre en lumière des disparités. Certains espaces sont plus ou moins densément peuplés. Dans quels espaces les risques sont-ils plus ou moins élevés ?

Étape 2 – Rechercher des informations pour comprendre la plus ou moins grande importance du risque sur les différents espaces

Pour cela, il faut faire référence à l’occupation du sol et aux fonctions des espaces. La recherche porte donc sur l’identification des activités humaines et de leur intensité ainsi que sur des composantes de l’espace qui peuvent aggraver la vulnérabilité dans ces espaces.

L’analyse des fonctions peut être aidée par des géoportails tel qu’OSM LandUse/LandCover. Une fonction agricole présente un risque moins important qu’une activité industrielle chimique ou qu’une zone résidentielle dense.

L’analyse de l’occupation du sol à l’aide de vues verticales en haute résolution. L’occupation du sol permettra d’identifier d’éventuelles composantes de l’espace qui aggravent la vulnérabilité: présence de lignes électriques aériennes, bâtiments peu résistants aux secousses sismiques, habitat sur les pentes d’un volcan dans des ravines …

L’analyse de l’occupation du sol permettra aussi de mettre en évidence d’éventuels aménagements pour se prémunir d’un aléa et donc limiter la vulnérabilité: construction d’un barrage anti-lahar, digue pour se prémunir d’un tsunami …

Étape 3 – Structurer des informations, vérifier/valider et faire part …

À l’aide des outils de la discipline (annotations sur des représentations de l’espace, construction d’un profil du relief, mise évidence d’une évolution par balayage …) la dernière étape consiste à mettre en évidence les occupations du sol, les fonctions qui permettent de qualifier des espaces plus ou moins à risque.