Fragments de migration
Partir, laisser les siens, son pays, que ce soit pour des raisons tragiques ou joyeuses … Les étudiants de B2 AESI de la HELHa Loverval dans le cadre d’un travail sur la migration sont allés à la rencontre de migrants d’hier et d’aujourd’hui, qui racontent à travers un objet leur expérience de la migration, de ce départ, de cette arrivée, de ce qu’ils ont laissé ou apporté, de ce qu’ils ont trouvé. Religions, langues, traditions culinaires, vêtements, instruments de musique, autant de facettes des cultures d’ici ou d’ailleurs qui ont été considérées par les étudiants lors de leurs entretiens.
Le téléphone
Le sac de voyage
Le plat à tajine
Le doudou lapin
Le saz
Le cahier
La bague
La lampe
Les fruits
L’accordéon
Le carnet
Le balai
L’arbre
La photo
La pipe
Le chapelet
Le livre
Le ballon
Le plateau
Le foulard
Le dictionnaire
Shohaib a 16 ans, il est originaire d’Afghanistan et actuellement, il vit dans une famille d’accueil dans la région de Charleroi. À 14 ans, il voit les Américains quitter le territoire. Son grand frère ayant collaboré avec ces derniers, il se voit rechercher par les Talibans. Pour protéger sa famille, le grand frère quitte le foyer mais les Talibans ne lâchent rien, ils débarquent très fréquemment dans le foyer et commencent à s’intéresser à Shohaib en vue de l’embrigader. Sa famille a donc pris la décision de l’envoyer vers l’Europe, les pays voisins étant très prisés. Après 5 mois de voyage, étant passé par la Turquie, la Hongrie et bien d’autres pays encore, il est pris en charge par le Centre des Racines et des Ailes de Manhay où il a vécu durant près d’un an.
Depuis le mois d’août 2022, il est installé dans un foyer d’accueil où il a deux parents d’accueil ainsi qu’une sœur, un frère, un chien et un chat. Il suit l’enseignement DASPA et il a aussi une enseignante de français à domicile le mercredi. En tout, il suit plus de vingt heures de français par semaine.
Sur cette photo, il utilise son téléphone qui lui permet de garder un contact fréquent avec sa famille, restée sur place. Il se trouve dans sa chambre, qui est devenue son nouveau chez soi depuis maintenant un an.
1- Hadrien Melsen – Le téléphone- Afghanistan
Cristina, âgée de 76 ans, témoigne au nom de son mari décédé afin d’expliquer leur parcours lorsqu’ils ont migré vers la Belgique. Fernando était un jeune homme italien qui vivait dans un petit village situé dans le sud de l’Italie. C’était un travailleur acharné, mais le travail dans les champs ne lui permettait pas de subvenir à ses besoins et à celui de sa femme pour fonder une famille.
Un jour, il a entendu parler d’une opportunité de travail en Belgique, où des mines de charbon offraient des emplois bien rémunérés aux travailleurs étrangers. Fernando a donc décidé de tenter sa chance et a pris la décision de partir pour la Belgique. Avec sa femme, ils ont voyagé en train et en bateau depuis l’Italie jusqu’à la Belgique. Les conditions de voyage étaient souvent difficiles, avec des trajets longs et inconfortables et des risques de maladies, de vol ou de violence.
Une fois arrivés en Belgique, ils ont rencontré d’autres travailleurs migrants et se sont intégrés dans une communauté d’Italiens ou d’autres travailleurs étrangers qui vivaient et travaillaient dans la région. Cela leur a donc offert un soutien social et culturel important, leur permettant alors de s’adapter plus facilement à leur nouvel environnement.
Lorsque Fernando est arrivé en Belgique, il a été embauché au Bois du Cazier (une mine de charbon à Marcinelle) et a commencé à travailler dur sous terre. Bien qu’il ait eu du mal à s’adapter au nouveau pays et à la nouvelle langue, il a rapidement acquis de l’expérience et a appris à travailler en équipe avec d’autres mineurs.
Fernando a travaillé dans la mine pendant plusieurs années et a économisé suffisamment d’argent pour envoyer des fonds à sa famille en Italie et pour se bâtir une vie meilleure en Belgique. Il a également pu fonder une famille avec sa femme et a eu 2 enfants.
Cependant, le travail dans les mines de charbon était très difficile et dangereux. En effet, il a été témoin de plusieurs accidents graves qui ont, malheureusement, coûté la vie à plusieurs de ses collègues. Il a commencé à se préoccuper de sa propre sécurité et de celle de sa famille.
Finalement, Fernando a décidé de quitter son travail dans les mines de charbon et a commencé à chercher un emploi plus sûr. Il a finalement trouvé un emploi dans une usine et a continué à travailler dur pour subvenir aux besoins de sa famille.
D’après Cristina, cette lampe était d’une grande importance pour Fernando, car elle lui permettait de voir dans l’obscurité de la mine et de rester en sécurité tout en travaillant. Il avait appris à la manier avec précaution, sachant qu’elle pouvait être la différence entre la vie et la mort dans cet environnement hostile. Pour lui, c’était un souvenir qui représentait le parcours qu’il a vécu et le travail acharné qu’il a réalisé pour avoir une vie décente avec sa famille.
2- Johannie Contignac- La lampe- Italie
C’est en 1930 que Jozef rencontre Marie lors d’un baptême chez des amis communs de la famille dans la petite commune de Betekom, située dans le Brabant Flamand. Entre eux, c’est directement le coup de foudre. Jozef et Marie, alors âgés respectivement de 13 et 12 ans, deviennent inséparables et rêvent déjà de grandes choses pour leur futur.
Quelques années plus tard, Jozef demande la main de Marie à son père. Ce dernier refuse, car il ne vit alors que de petits boulots et n’a pas de situation stable. Jozef décide alors d’aller travailler dans les charbonnages de Wallonie.
N’écoutant que l’amour, Marie emballe ses affaires, dit au revoir à sa famille et suit Jozef dans cette nouvelle vie tant rêvée. Jozef rassemble ses maigres affaires. Avant de partir, son père lui tend une pipe en bois qu’il lui avait achetée avec ses quelques économies.
Après un voyage en train, les deux amoureux se retrouvent dans la région de Charleroi, plus précisément dans la commune de Ransart. Jozef trouve un poste dans le charbonnage de la rue Appaumée ainsi qu’une petite maison ouvrière à la rue Bonnevie et y voit dans le nom de cette rue, un signe du destin.
Les débuts de leur nouvelle vie furent compliqués, vivant chichement dans cette petite maison ouvrière et parlant difficilement le français Jozef et Marie durent user de trucs et astuces pour se faire comprendre.
C’est comme ça que durant des années Marie se rendait au petit épicier, munie de son bâton en bois pour montrer les articles qu’elle souhaitait acheter, dont le tabac pour la pipe de Jozef. Ce dernier aimait particulièrement se retrouver, après une journée de dur labeur, au coin du feu avec sa femme.
Jozef et Marie eurent 5 enfants : 1 garçon (Henricus) et 4 filles (Ursula,
Julia, Clara et Rita). Jozef finit par avoir assez d’argent pour acheter leur petite maison ouvrière de la rue Bonnevie. Jozef et Marie n’étaient pas riches, mais ne manquaient de rien. Ils pouvaient régulièrement retourner au « PaysFlamand » comme ils l’appelaient pour revoir leur famille respective.
3- Adrien Aprile- La pipe flamande- Belgique, Flandre, Brabant Flamand
Valerian David est né en 1972 dans la ville de Balan en Roumanie. Élevé dans un contexte communiste, sous le régime dictatorial de Ceausescu, celui-ci a connu une enfance difficile. La majorité des habitants vivait sous le seuil de pauvreté et les enfants grandissaient dans un environnement où la liberté d’expression et de pensée était complètement réprimée. Désireux d’échapper à ce quotidien précaire, il prit la décision de quitter le pays. Bien que le régime de Ceausescu soit aboli en 1989, la sortie du pays était toujours strictement interdite. Il était donc obligé d’emprunter des voies illégales et surtout de se déplacer à pied. En effet, selon lui, la plus grande crainte était de se faire dénoncer.
Son voyage n’a pas été un long fleuve tranquille, il l’aura effectué, au total, 7 fois. Pour parvenir à ses fins, le jeune homme a dû traverser 5 pays à savoir l’Ukraine, la Hongrie, la Pologne l’Allemagne et enfin la Belgique. Ce dernier a dû faire preuve d’un courage sans faille pour surmonter les nombreux obstacles qui se dressaient sur sa route. Capturé plusieurs fois par la police frontalière, il fut tour à tour humilié et mal traité. Pour échapper aux contrôles, il était contraint d’emprunter les chemins les plus discrets. Il marchait donc la nuit à travers les forêts et les montagnes pour ne pas être repéré en essayant d’éviter les sangliers sauvages. L’obstacle le plus difficile a été d’après lui la traversée du fleuve Oder en Allemagne. Voyant la police au loin, il n’avait pas d’autre choix que de se submerger dans l’eau pour ne pas être repéré. Avec l’adrénaline, il ne sait pas exactement combien de temps il est resté sous l’eau. Néanmoins, lorsqu’il est remonté à la surface, les policiers étaient déjà très loin de l’autre côté du fleuve.
Le sac de voyage de Valerian représente le témoin silencieux de toutes ses péripéties et est le symbole de son désir de liberté et de son courage pour chercher une vie meilleure.
4- Ioana Musteata- Sur la route de l’espoir, Roumanie
Je m’appelle Marie, originaire du Rwanda (Afrique).
J’ai quitté mon pays à cause du Génocide de 1994.
Je suis arrivée en Belgique avec mes trois enfants en bas âges.
J’ai demandé l’asile et cela m’a été accordé. C’est à ce moment-là que j’ai commencé mon parcours d’intégration. Étant donné que tous mes enfants étaient à l’école primaire, j’ai eu l’opportunité de faire les formations. Pour maximiser mes chances de trouver du travail, j’ai décidé de combiner une formation en bureautique en présentiel, avec une formation de secrétariat médical à distance. Après ces formations, je n’ai pas trouvé du travail et j’ai décidé de continuer les études. C’est ainsi que j’ai entamé les études en droit. Après mes études, j’ai travaillé dans un centre d’intégration pour les étrangers pendant deux ans. Par la suite, je suis devenue indépendante. Récemment, j’ai entamé une nouvelle carrière en tant que professeur de religion catholique.
J’ai apporté avec moi la culture rwandaise comme la danse, la tenue, la nourriture…
Sur la photo ci-contre, je tiens les bananes vertes (ibitoki) et la patate douce (ikijumba).
5- Emilie Mellaerts- Du pays des mille collines au pays d’accueil- Rwanda
Sevim est née en Turquie en 1952. Elle a grandi dans un petit village à Kisir tout près d’Ankara. À l’âge de 20 ans, celle-ci a rentré l’homme qu’elle épousera par la suite. Après leur mariage, son mari décide de partir de la Turquie pour venir travailler en Belgique, car là-bas, dans le village,
les métiers se font rares et difficiles à garder. Lorsque son mari est parti pour la Belgique, Sevim n’a pas pu le suivre immédiatement. C’est pourquoi il lui avait laissé son chapelet en lui promettant de la faire venir dans son nouveau pays dès qu’il pourra.
En attendant qu’elle puisse pouvoir rejoindre son mari, Sevim priait avec son chapelet à la main. Elle y croyait et savait qu’un jour, elle pourrait fonder une famille en Belgique avec celui-ci. Après deux ans d’attente et beaucoup de prières, celle-ci a pu le rejoindre. Elle a fait sa valise en prenant soin d’emporter son chapelet. Aujourd’hui, Sevim a pu réaliser tous ses rêves au côté de son mari. Elle a eu 5 magnifiques enfants et beaucoup de petits enfants. Il est décédé il y a quelques mois maintenant, mais elle sait qu’un jour elle le rejoindra et le retrouvera.
6- Cassia Priels- Il me l’avait promis !- Turquie
Ce tajine appartenait à Yamna Zhora. Mère de six enfants, elle passait la majorité de son temps à s’occuper de sa maison et à préparer à manger pour sa grande famille. Elle a appris à cuisiner dès l’âge de 8 ans auprès de sa propre mère et s’est mariée à 16 ans avec Mohamed Doghmi, qui lui a donné un premier fils deux années plus tard. Leur foyer était tranquille, aisé et implanté à Rabat, capitale du Maroc.
C’est à 46 ans que Yamna s’est retrouvée à devoir migrer en direction de la Belgique. Non pas par choix, mais par obligation. Son mari et elle-même avaient développé au fil du temps des problèmes de santé que la médecine marocaine ne pouvait pas encore traiter. S’ils voulaient allonger leur espérance de vie, il n’y avait pas d’autre solution que de changer de pays. Son fils aîné, Farid, se trouvait déjà sur place. Marié à une Belge, Michèle, et père d’un petit garçon, il était prêt à les accueillir le temps qu’ils trouvent leur propre chez eux et se mettent en ordre de papiers. Yamna et Mohamed n’ont pas pu emporter beaucoup de choses de chez eux. À peine quelques vêtements, des objets de valeur, des photos et… un tajine. Yamna, ne s’étant jamais rendue en Belgique, craignait de ne pas trouver ce plat typique de chez elle dans les commerces locaux. Aussi s’était-elle rendue au souk le plus proche pour en acheter un et le glisser dans ses valises.
Le trajet a été ordinaire, un direct de l’aéroport de Casablanca jusqu’à celui de Bruxelles, où leur fils et sa jeune épouse les attendaient. Leur premier repas sur le territoire Belge a été concocté dans le tajine par Yamna. Elle en profita pour en apprendre la recette à sa belle-fille. Ils n’eurent aucun mal à obtenir leur titre de séjour et trouver une maison en location. Leur résidence principale, au Maroc, était entretenue par l’un de leurs enfants restés au pays. Ils y retournaient chaque été avec leurs petits-enfants, afin de revoir leurs amis, leur ville et leur maison. Mohamed mourut en 1998 de cause naturelle. Yamna lui succéda une année plus tard, n’arrivant pas à se remettre de la mort de son mari. Leurs enfants les firent rapatrier au Maroc, où ils eurent droit à un enterrement traditionnel musulman. Avant son décès, Yamna transmit quelques affaires, dont son cher tajine, à son fils ainé. Celui-ci en fit cadeau à sa femme, qui était plus douée que lui pour la cuisine. Encore des années plus tard, le tajine se fissura, mais aucun d’eux n’eut le cœur à le jeter. À la place, il trouva un endroit confortable au-dessus d’un meuble du salon où, à chaque repas en famille, ils pouvaient tous l’observer. Souvenir de l’immigration de Yamna, mais également un bien précieux dans la famille.
7- Amal Doghmi- Le tajine familial- Maroc
Jean Turek est né le 22 mai 1910 à Essen, en Allemagne, de parents d’origine polonaise. La famille a migré pour que le père puisse travailler dans la Rhür.
En 1914, les autorités allemandes ont donné un ultimatum à son père : devenir citoyen allemand et se battre pour l’Allemagne ou rentrer en Pologne avec sa famille. Ils ont choisi de retourner en Pologne. Mais les conditions de vie étant très dures, le père est parti pour la France où trouver du travail à Honin. La Première Guerre mondiale a éclaté, il n’était pas possible pour la famille de se réunir. Ce n’est qu’en 1919 qu’ils ont obtenu une autorisation pour vivre en France, la société de charbonnage pour laquelle travaillait son père leur a fourni un domicile dans les corons. Ils ont quitté la Pologne en train, la mère et les deux fils. La famille étant très pauvre, Jean Turek a commencé à travailler dans la fosse à l’aide de papiers falsifiés à l’âge de 9 ans et demi. En 1935, lors de la naissance de son premier enfant, Jean a quitté la mine pour travailler dans le montage de charpentes métalliques.
En 1938, la crise a commencé en France et la politique envers les étrangers s’est durcie et beaucoup ont été contraints de partir. Jean n’ayant pas de travail ni de biens en Pologne, il a donc décidé de partir pour la Belgique, mais il n’a pas pu voyager avec sa famille, car il n’avait pas encore d’emploi. Il a été engagé par la société du charbonnage du Gouffre à Châtelineau et a été logé par la société dans une brasserie, partageant une chambre commune avec d’autres immigrés. Six mois plus tard, il a pu faire venir sa femme et ses enfants, et ils ont vécu dans une pièce « familiale » de la brasserie. Les conditions de vie dans la brasserie étaient très compliquées, des draps séparaient les familles et ils dormaient à même le sol dans quelques mètres carrés.
Après un an de vie dans la brasserie, la société du charbonnage leur a fourni une maison à la rue Pirotia, près du puits n°10 de la société où travaillait Jean Turek. Ils n’ont jamais été naturalisés belges, mais ont obtenu une résidence permanente après la guerre et Jean a pu devenir propriétaire et recevoir une pension de l’État belge dans les années 60.
Jean était passionné de musique et, bien qu’il n’ait pas pu acquérir beaucoup de biens au cours de ses migrations, son accordéon l’a toujours suivi depuis. En France, en Pologne et en Belgique, la communauté polonaise se réunissait tous les dimanches pour un « bal polonais », et Jean faisait partie de l’orchestre qui animait ces soirées après la messe.
Originaire d’Iran, Keivan Najib est né en 1969. Bien qu’il soit ingénieur et que les offres d’emploi sont assez nombreuses, le futur l’inquiète, notamment celui de ses enfants. En effet, il estime que l’Iran n’est pas un pays qui « ouvre des portes » aisément. Son objectif est d’assurer un avenir prospère à ses enfants, et ce, à tous les niveaux.
Passionné par la France et la culture française, le choix n’a pas été difficile pour lui. Néanmoins, une superbe opportunité d’emploi s’offre à lui en Belgique. Impossible de refuser, à 33 ans, il quitte son pays natal. L’accommodation n’a pas été aisée. De fait, à cette époque, il parle uniquement le persan qui n’a aucune racine commune avec le français. Par ailleurs, la graphie est tout à fait différente. Il se procure alors le célèbre livre d’Albert Camus : « L’étranger ».
Il y inscrit des traductions, des prononciations particulières et essaye de comprendre les formulations de phrases. Aujourd’hui, l’ingénieur maitrise parfaitement le français bien qu’il ne soit pas toujours satisfait de son accent.
Ce livre représente donc parfaitement la difficulté vécue par la majorité des migrants qui ne parlent pas la langue du pays dans lequel ils s’installent et est un symbole de progrès dont Keivan sera toujours fier.
9- Ioana Musteata- L’Etranger- Iran
“J’ai 5 ans. J’ai fêté mon anniversaire pour la première fois en Belgique il y a quelques jours. Pour mes 4 ans, j’étais encore en Ukraine avec mon papa, mes grands-parents, mes petits chiens.
Nous sommes arrivés en Belgique en juin 2022, ma maman, ma tante, mon cousin et moi. On ne voulait pas partir, toute notre vie était là-bas, on a tenu 4 mois au milieu des bombes. On dormait dans une cave depuis de longues semaines lorsqu’on est partis, toujours habillés au cas il faudrait fuir pendant la nuit. J’avais très froid, j’ai attrapé une infection qui me fait encore tousser aujourd’hui. Ma maman ne voulait pas quitter papa, c’est lui qui a insisté. Il avait peur pour nous. Et aussi ma tante craignait que mon cousin Matvi ne soit engagé pour faire la guerre, il avait déjà presque 16 ans. On est partis seuls, car mes grands-parents ne voulaient pas quitter ce qu’ils avaient toujours connu. Et nos papas n’ont pas eu le choix, ils ne pouvaient même pas sortir de la ville.
Pourquoi on a choisi la Belgique ? Parce qu’une amie de la famille y vivait depuis une dizaine d’années et nous a encouragés à la rejoindre. On a pris un premier train pour quitter l’Ukraine, puis un deuxième, un troisième qui nous a conduit en Allemagne où on a pu se reposer. Puis on est passés par Bruxelles et enfin Charleroi où une famille d’accueil nous attendait. Ça a été un choc les premiers jours. Il faisait calme, il faisait chaud, on n’avait plus à avoir peur, en tout cas pour nous.
On a essayé d’apporter un maximum de choses avec nous. De la nourriture pour le trajet, quelques vêtements dont ce legging sur la photo qui reste mon préféré, quelques jouets… Je n’ai pas pu choisir alors j’ai pris 3 doudous avec moi, dont ce lapin.
Aujourd’hui, on habite tous les 4 dans un appartement à Charleroi. On va tous à l’école, même maman et ma tante. On commence à parler un peu le français. On apprend à vivre autrement ici en Belgique même si ce qu’on aimerait vraiment, c’est de pouvoir retourner chez nous… qu’il n’y ait plus la guerre là-bas. Alors je reprendrai mon lapin, mes autres doudous, et je retrouverai mon papa, mes
grands-parents, mes petits chiens… On prendra peut-être l’avion cette fois… je n’ai jamais pris l’avion…”
10- Françoise Rolain- Le lapin voyageur- Ukraine
“Je m’appelle Alfredo et je vais vous raconter mon histoire. J’étais un jeune homme de 20 ans originaire d’un petit village dans le sud de l’Italie et j’ai émigré en Belgique pour travailler dans les mines de charbon. J’ai grandi dans une famille de paysans pauvres et j’avais toujours voulu quitter mon village pour découvrir le monde, mais je ne savais pas comment y parvenir.
Un jour, j’ai entendu parler de l’opportunité de travailler dans les mines de charbon en Belgique, qui offraient des salaires élevés pour les travailleurs migrants. J’ai donc décidé de saisir cette chance et de partir pour la Belgique. J’ai voyagé en train et en bateau jusqu’en Belgique, où j’ai été accueilli par une communauté italienne de travailleurs migrants. J’ai commencé à travailler dans les mines de charbon, où j’ai travaillé dur dans des conditions difficiles pour gagner ma vie.
Au fil du temps, j’ai rencontré d’autres travailleurs migrants, dont une jeune femme belge dont je suis tombé amoureux. Nous nous sommes mariés et nous avons eu des enfants. Finalement, j’ai décidé de m’installer en Belgique pour de bon et j’ai continué à travailler dans les mines de charbon pendant plusieurs années. Par la suite, j’ai décidé de changer de carrière pour devenir électricien. J’ai étudié dur pour obtenir mon diplôme, mais j’ai finalement commencé à travailler pour mon propre compte en tant qu’indépendant.
La vie n’a pas toujours été facile pour moi en Belgique, car j’ai dû faire face à des difficultés liées à la langue et à la culture. Cependant, j’ai persévéré et j’ai réussi à m’intégrer dans la société belge, tout en gardant des liens forts avec ma famille en Italie.
Ce carnet de la FGTB, qui contenait des informations sur mon emploi, mes salaires et mes droits, était très important pour moi à l’époque où je travaillais en tant que mineur, car il garantissait que j’étais traité de manière équitable par mes employeurs et que j’étais payé correctement pour mon travail.”
11- Johannie Contignac- Ma migration, mes droits- Italie
Silver Javier Sosa est un jeune homme venant de République dominicaine. Il a quitté son pays natal, ses amis et ses centres d’intérêt pour rejoindre la personne la plus importanteà ses yeux, sa sœur. Cette dernière s’étant installée à Châtelineau en Belgique depuis 2018, elle lui manquait énormément. Ses parents ne souhaitant pas quitter leur pays, Silver s’est trouvé face à un dilemme, car il y est également très attaché. Ceux-ci, désireux d’assurer un bel avenir à leur fils, l’ont incité à rejoindre sa sœur.
Lorsqu’il est arrivé en Belgique, en novembre 2021, Silver s’est installé chez elle. Il était très heureux de la retrouver. Néanmoins, il se sentait un peu seul étant donné qu’il ne s’était pas encore fait d’amis et qu’il ne parlait pas la langue du pays. Il décida alors de tenter d’intégrer un club de basketball en Belgique pour pouvoir pratiquer son sport favori et par la même occasion se faire des amis. La saison étant trop avancée, beaucoup de clubs ont refusésa demande. C’est alors que notre coach Fred, qui parle espagnol, eut l’écho de son histoire qui l’a touché. En effet, il s’est trouvé dans une situation similaire, lorsqu’il a dû quitter la Belgique pour rejoindre un club en Espagne. Il l’a donc contacté. Le marché était le suivant, Silver pouvait participer aux entrainements avec nous, mais dans un premier temps, il ne disputerait pas les matchs. S’il faisait ses preuves, il pourrait jouer.
Les premiers contacts entre lui et les autres joueurs étaient compliqués à cause de la barrière de la langue. Mais au fur et à mesure des entrainements et grâce à l’implication de Silver dans la vie du club, la relation entre Silver et le reste de l’équipe s’améliorait de plus en plus. Finalement, il était tout à fait intégré. En avril 2022, Silver joua son premier match en Belgique et marqua ses premiers points.
Désormais, le français du jeune homme s’est nettement amélioré et il a signé pour une nouvelle saison au sein de notre équipe. Il est heureux de vivre avec sa sœur sans éprouver ce sentiment de solitude. Toutefois, il m’a confié que son pays natal et ses parents lui manquent un peu…
12-Florian Servotte- Le ballon de l’intégration- République dominicaine
Hamide est une femme qui a migré en Belgique en 2001. Avant de découvrir ce nouveau pays, cette femme d’origine kurde n’été jamais allée autre part qu’en Turquie auparavant.
Tout commence lorsque Hamide fait la rencontre de Tayyar qui est un garçon belge et d’origine turque, ce dernier rend visite à sa famille. Après avoir fait connaissance, leurs parents se rencontrent et les deux jeunes se marient.
Peu de temps après, Hamide tombe enceinte de sa première fille, et ils décident tous les deux de retourner en Belgique.
Le voyage s’est très bien passé, personne n’a été en danger. La jeune femme avait tout droit de partir en Belgique, étant mariée à une personne de nationalité belge, le voyage en avion s’est donc très bien passé, c’était la première fois que la jeune femme prenait l’avion.
Après quelques mois d’installation en Belgique, les frères de Hamide lui rendent visite pour rencontrer le nouveau-né. Ses frères se sont tous les deux déplacés en voiture de Turquie en Belgique, car leur mère et le village ont voulu offrir des présents et souvenirs de Turquie en tant que cadeau pour féliciter les heureux parents. Nombreuses choses comme de la nourriture (du thé noir, du café turc), des ustensiles de cuisine, des vêtements, etc., ont été offerts.
Une chose que la mariée avait demandé qu’on lui apporte et qu’elle a gardé toutes ces années, c’est le saz de son frère.
Dans la communauté kurde ou turque, le saz et le chant sont utilisés pour s’exprimer sur un point de vue souvent religieux et/ou politique. Pour elle, il était important de continuer cette tradition et de se retrouver pour pouvoir jouer au saz et chanter des chants, elle va donc suivre avec ses filles pendant quelques années des cours de saz dans un centre culturel à Charleroi. C’était également un nouvel environnement pour s’intégrer avec des Belges d’origine turque et kurde, ce qui était une première.
Au final, pour Hamide, se remémorer d’où elle venait l’a énormément aidé dans pour son intégration en Belgique.
13- Aylin Sasmaz- La mélodie de mon pays- Turquie
C’est en 1945 que naît Mohamed Tachfini à Casablanca au Maroc et 8 ans après nait Aïcha dans la famille Badr, amie de la famille Tachfini.
La vie au Maroc n’est pas simple, il est compliqué de trouver du travail, et il est parfois difficile de se projeter dans la vie que l’on rêve. Mohamed l’a vite compris et quand il atteint ses 18 ans, il décide de partir en Belgique en 1963.
Arrivé en Belgique, Mohamed se débrouilla seul pour trouver un emploi et gagner de l’argent pour avoir un toit et une vie stable. Il décrocha le premier emploi facile à trouver pour les étrangers : barman. Cela ne fut pas facile tous les jours, mais il fallait se donner les moyens pour s’intégrer et y arriver.
Mohamed retourna de temps en temps au Maroc pour voir sa famille qui lui manquait tant. Au fil des années, il venait plus pour voir Aïcha, cette amie d’enfance qui avait grandi et était devenue si belle à ses yeux et si importante. Ils étaient amoureux et cela devenait de plus en plus dur de rentrer en Belgique sans elle.
À l’âge de 25 ans en 1970, il décide de demander la main d’Aïcha. Le mariage a lieu, mais Mohamed doit retrouver sa vie en Belgique en promettant à Aïcha que, bientôt, ils n’auraient plus à se séparer.
C’est aux 22 ans d’Aïcha en 1975, qu’Aïcha rejoint son mari en Belgique. Elle doit aussi trouver un emploi, celui de femme de chambre. La vie n’est pas facile tous les jours, mais le couple ne voit que leur futur ensemble.
Après toutes ces années de galères, leurs sacrifices ont payé en donnant naissance à deux enfants, une fille et un garçon. Ils sont désormais citoyens belges et sont heureux comme ils l’avaient espéré.
Leurs objets choisis sont en lien avec leur pays d’origine, le Maroc (tenues traditionnelles). De plus, tous deux ont, sur leurs photos, des objets symbolisant leur métier. Mais surtout, ils tiennent à la main, une photo d’eux à l’âge de leur migration.
14- Emilie Marmignon- Partir pour une meilleure vie- Maroc
Michèle Labbé rencontre celui qui deviendrait son époux en août 1980. Elle avait 16 ans et lui 20 ans. Jeune immigré marocain, il ne maîtrisait pas encore le français et elle, en retour, ne parlait pas un mot d’arabe. Ça ne les a pas empêchés d’avoir un coup de foudre l’un pour l’autre, la barrière de la langue ne parvenant pas à faire halte à leurs sentiments.
Farid Doghmi, qui avait tout de même quelques notions de la langue de son pays d’accueil, se mit à lui enseigner l’arabe par le biais d’un carnet. Il écrivait dans sa langue et Michèle traduisait dans la sienne. ls sont ainsi mis à apprendre l’un de l’autre, facilitant grandement leur communication.
À la naissance de leur premier fils, Farid décida qu’il était temps de présenter sa femme à ses parents et au reste de sa famille restée au Maroc. Là-bas, Michèle a perfectionné cette langue qui lui était encore inconnue un an plus tôt. Ses belles-sœurs, ses beaux-frères, ainsi que ses beaux-parents l’aidaient beaucoup, passant à leur tour par ce carnet qui ne la lâchait jamais.
Ils se mirent ensemble à coller des fiches du calendrier, des extraits de journaux, etc. qu’ils s’amusaient ensuite à traduire ensemble. L’apprentissage allait dans les deux sens. En 2008, bien après le décès de ses beaux-parents, Michèle et son époux, désormais parents de trois enfants, dont seule la dernière vivait encore avec eux, décidèrent de migrer au Maroc. Rêve commun qu’ils avaient enfin les moyens de concrétiser. Le carnet fut d’une grande aide, aussi bien pour Michèle, que pour sa toute jeune fille de 7ans qui se retrouvait immergée dans une langue qu’elle ne maîtrisait que très peu. Elle se mit également à enrichir les pages de son écriture enfantine, apprenant de mots écrits 20 ans avant sa naissance.
Bien plus qu’un simple carnet de notes, il devint un authentique outil d’apprentissage, aussi bien pour le français que pour l’arabe. Il servit au total à trois générations. Aujourd’hui, il repose au fond d’un tiroir chez Michèle, désormais âgée de 60 ans. Sa fille et elle s’amusent à le sortir de temps à autre pour lire ses phrases d’un autre temps, souvenir d’une immigration dont elles sont revenues enrichies.
15- Amal Doghmi – Un carnet pour se comprendre- Maroc/Belgique
Je m’appelle Claude et je viens du Liban. Je suis arrivée en Belgique, il y a maintenant 10 ans.
J’ai décidé de quitter mon pays à la suite d’une démission. Ne trouvant plus de travail et après avoir vécu 30 ans de guerre j’ai saisi l’occasion de changer de vie. Mon beau-frère travaillait à l’ambassade belge, c’est pour cela que la Belgique fut notre premier choix.
Je suis très attachée à mon pays, mais la guerre m’a traumatisée, je ne m’y sentais plus à ma place. 30 ans, de longues années de guerre étaient une épreuve douloureuse. Je voulais partir et emporter avec moi, tout ce qui me rappelait la joie d’être libanaise. Je suis venue avec une histoire, une culture et un maximum de richesse du Liban. J’ai essayé d’apporter mon pays, ici dans mon nouveau chez moi. Le Liban ne peut pas être représenté par un objet, mais j’ai essayé de mettre cette culture chez moi, comme avec cet arbre : Le cèdre libanais. Je l’avais emporté à mon départ et maintenant il vit dans mon jardin. Je n’ai pas pu prendre le soleil avec moi, mais au moins j’ai des terres libanaises derrière ma maison.
Giulia Cimino- Le Liban dans mon jardin- Liban
Je m’appelle Fazal, j’ai 16 ans, je suis un Afghan qui a immigré en Belgique. Je réside actuellement dans le centre Fedasil situé à Florennes avec d’autres personnes de même origine que moi. J’ai quitté mon pays pour cause de guerre et avant d’arriver ici, j’ai traversé plus de 11 pays. Je n’ai pas pu emporter beaucoup d’objets avec moi à part des vêtements. J’ai un vêtement type de chez nous que l’on porte souvent que ça soit pour des occasions ou bien juste pour tous les jours. Généralement, même si on ne peut pas rapporter grand-chose, on essaye toujours de prendre ce vêtement, car chez nous c’est assez symbolique et il a beaucoup d’importance dans notre religion. Il ressemble à une longue chemise et chez nous on appelle ça un « Kurta ». Celui-ci est en matière fine, mais parfois
pour l’hiver nous en avons des plus chauds. Il a quelques boutons pour pouvoir l’ouvrir à l’avant et souvent on le porte avec un pantalon. J’ai également ramené avec moi ce foulard « Keffieh », qui est aussi typique de l’Afghanistan et que généralement tous les Afghans ont avec eux. Il est important pour nous et nous rappelle notre pays.
Lydie Delbrassine- Afghanistan
Voici l’histoire de Sofia racontée par sa petite fille Vanessa qui elle-même l’a entendue raconter par sa maman et sa grande sœur.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Sofia, jeune polonaise de 15 ans, est arrachée à sa famille, pour travailler dans un camp de prisonniers en Allemagne. Elle y travaille comme cuisinière et bonne à tout faire pendant deux ans sans recevoir de salaire.
Emile, le grand-père de Vanessa, est belge et prisonnier de guerre dans le camp où travaille Sofia. C’est dans ces circonstances que Sofia et Émile se rencontrent et tombent amoureux. Sofia et d’autres travailleuses du camp réussissent à faire libérer Émile et quelques autres prisonniers.
Emile et Sofia rentrent alors à pied en Belgique dans la famille de celui-ci. À cette époque, Sofia parle encore très peu le français. Ils se marient et s’installent dans la région de Beaumont. Quelques mois plus tard, ils ont leur premier enfant. Sofia n’a que 17 ans. Neuf autres enfants suivent rapidement.
La famille de Sofia a toujours gardé son alliance et l’a récemment restaurée. Cette bague c’est le symbole d’une histoire, d’une rencontre, d’une famille. Elle est transmise de génération en génération, avec l’histoire de leurs grands-parents.
Sofia a pu retourner en Pologne pour revoir ses parents. Vanessa n’a jamais rencontré sa grand-mère…
16- Lauralie Cankaya- Héritage familial- Pologne
Estanislao Raigoso Gutierrez est le 5e enfant d’une fratrie espagnole de 8 enfants. Sa petite-fille le décrit comme étant un homme à tout faire, ce qui lui a permis de rencontrer la femme de sa vie. En effet, ce jeune homme espagnol rencontre une jeune femme lorsqu’il travaille chez un riche fermier dans un petit village. Là-bas, il participe aux différents travaux au sein de la ferme, mais également aux travaux domestiques. Il travaille également à la mine de 1930 à 1936. En 1932, Estanislao épouse la jeune femme qu’il avait rencontrée quelques années auparavant. De cette union naissent trois enfants.
Un mois après la naissance de sa dernière fille, le 31 juillet 1936, il fuit le régime mis en place par le général Franco. Il fuit l’Espagne, car il est un socialiste actif et s’oppose au régime franquiste dictatorial. Le jour de sa fuite, il se trouve aux champs lorsque les partisans franquistes passent dans les villages pour arrêter et emmener les hommes. Il est face à une incroyable chance, son épouse explique aux soldats d’aller voir ailleurs et prévient vite son mari du danger. Elle le supplie de partir et c’est ce qu’il fait. Elle ne recevra des nouvelles de lui que bien plus tard. Il s’échappe à pied par les montages pour rejoindre la ville de Santander dans le nord de l’Espagne.
Plus tard, tous les socialistes espagnols sont pourchassés du pays, Estanislao quitte donc l’Espagne et se retrouve au Maroc à Casablanca où il trouve refuge dans des camps français. Il était réfugié politique. Là-bas, il travaille la terre, il travaille dans les mines à ciel ouvert, etc. Durant la guerre civile d’Espagne de 1936 à 1939, la famille de Estanislao n’a eu ni trace ni nouvelle de ce dernier.
Quelques années plus tard, l’épouse d’Estanislao rencontre une femme qui lui informe qu’elle allait bientôt recevoir des nouvelles d’une personne disparue. En effet, en 1940, elle et les parents de son mari reçoivent une carte. À l’arrière de celle-ci était écrit « Chers parents, votre fils vous envoie ce souvenir en preuve d’amour ». Cela suffisait juste à savoir qu’il était en vie. Cette photo a été prise à Bouarfa, au Maroc.
À partir de 1942, la femme d’Estanislao reçoit des nouvelles, des signes de vie de son mari plus régulièrement. Par exemple, il lui fait parvenir une montre, cachée dans le talon d’une chaussure.
En 1952, Estanislao arrive en Belgique, car on recherche des personnes pour travailler dans les mines. À ce moment-là, sa femme et ses trois enfants le retrouvent en Belgique. Sa plus jeune fille a désormais 15 ans, elle rencontre son papa pour la première fois.
Cet homme courageux créera ensuite une petite association dans le but d’aider les Espagnols. On le surnommera Casablanca en souvenir de ses années passées au Maroc.
L’histoire d’Estanislao Raigoso Gutierrez m’a été racontée par Sabine Jezierski, sa petite fille.
Annabelle Heulers- Preuve de vie- Maroc/Espagne
« La barrière de la langue, une métaphore devenue réalité »
“Je m’appelle Calogero et je suis venue en Belgique rejoindre mon père quand j’avais 14 ans. Cela faisait cinq ans qu’il avait quitté la Sicile pour venir travailler dans les mines. La première chose dont je me souviens à mon arrivée ici, après trois jours de train, c’est tout ce brouillard. J’avais l’impression qu’ici il faisait toujours tout gris ou tout noir. Rapidement j’ai pu aller à l’école, je devais apprendre le français alors, ils m’ont mis dans des classes avec des enfants beaucoup plus petits que moi. J’avais 14 ans et j’étais en primaire. Pendant toutes ces années de scolarité, je me rendais à l’école en vélo et sur le trajet la seule chose à laquelle je pensais c’était que j’avais envie de rentrer chez moi, en Italie. Aller à l’école était une angoisse. Je n’y trouvais pas ma place, en réalité je n’ai trouvé ma place nulle part. Je ne comprenais rien, je ne pouvais même pas m’exprimer, je devais juste accepter d’être en fantôme. Être assis sur un banc toute la journée à écouter une autre langue qui m’était complètement inconnue. Ne pas comprendre et ne pas se faire comprendre a été pour moi l’élément le plus dur de mon immigration.”